Projets d'écriture

Bonjour, je viens ici partager mes projets, aboutis ou non, d'écriture. Je commence avec ce premier post, une critique des Justes d'Albert Camus qu'il me fallait faire pour l'entrée à l'IUT de Paris Descartes (le choix du livre était libre).
Espérant que cela vous plaise ou que l'on puisse discuter des approches de ce livre !

Critique : Les Justes – Albert Camus
« Quel crime ? Je ne me souviens que d’un acte de justice. »

Publié en 1949, Les Justes est une pièce de théâtre faisant partie des œuvres emblématiques d’Albert Camus. Au moment même où l’Europe s’engouffre dans le stalinisme après sa sortie du nazisme, l’homme cherche à dénoncer un système politique qui place ses idées au-dessus des hommes et s’appuie pour cela sur l’histoire vraie tirée de Mémoires d’un terroriste de Boris Savinkov : l’histoire d’un étudiant révolutionnaire, Kalaïev, qui n’a pas lancé sa bombe contre le grand-duc Serge car des enfants se trouvaient dans la calèche visée. Il la lance par la suite, assassinant le grand-duc.

Cette pièce de théâtre soulève de grandes questions, d’abord sur le poids à donner aux idées, ce qui différencierait un justicier qui se bat pour le bonheur de sa patrie d’un meurtrier, qui ne tue que pour le désir de faire du mal. L’opposition de deux figures représentatives de ces visions est un excellent moyen de mieux comprendre la réflexion de Camus. Entre Kaliayev, le terroriste révolutionnaire à l’insouciance juvénile qui ne peut se résoudre à jeter une bombe en voyant le visage sérieux du neveu et de la nièce du grand-duc, et Stepan, le radical qui pense que « c’est tuer pour rien, parfois, que ne pas tuer assez », qui a raison ? Faut-il chercher à imposer ses idées au-delà de tout sentiment ? L’auteur nous emmène ainsi loin des préjugés qui collent aux terroristes ; certains apparaissent ainsi comme étant humains, avec la figure de Kaliayev, et doués de compassion et d’amour. Un amour qui est omniprésent dans cette pièce, surtout entre Dora et Kaliayev, se soutenant en sachant pertinemment que cette relation est vouée à l’échec car l’attentat n’a qu’une issue possible : le poteau. Le lecteur se trouve ainsi pris dans un tourbillon d’émotions, entre l’amour et la compassion pour ces « terroristes délicats », mais aussi l’horreur du terrorisme aveugle comme tend à le pratiquer Stepan. Balancé entre les doutes de Kaliayev qui aime les hommes et hait la dictature (ce qui rend difficile sa pratique du terrorisme), la dureté de Stepan prêt à tout pour l’idée, même de tirer à bout portant sur un enfant si l’Organisation le lui commandait et les peurs logiques d’une femme aimante comme Dora qui sait que la perte de son amant sera inévitable mais aussi sa culpabilité en après avoir créé la bombe qui tue le grand-duc, on ne peut sortir indemne de cette lecture, toutes nos présuppositions sur le terrorisme balayées par des visages humains, et pas que sanguinaires.
Impossible donc de rester insensible face à la détresse de ces personnes mêlée à leur désir d’offrir au peuple une vie meilleure. Un peuple qui semble d’ailleurs soumis à la volonté de cette poignée d’hommes qui décide de changer la vie de milliers de civils. Malheureux, mais imprégnés d’un espoir les aidant à surmonter les écueils de leur action, nos terroristes rendent une image bien plus complexe que celle que l’on peut s’en faire. Le refus de jeter sa bombe de Kaliayev, à la simple vue des visages de ces enfants, son besoin de toujours coller à « l’honneur » remet en cause nos propres convictions sur le degré de contraintes que nous sommes nous-mêmes prêts à poser aux autres afin que nos intentions aboutissent.
D’autre part, le véritable atout de cette pièce est qu’elle nous donne à voir les deux aspects du terrorisme ; un moyen de véhiculer des idées pour les offenseurs, un drame dans la famille des victimes. Ce livre poignant nous présente ainsi, lors de la rencontre entre la grande-duchesse et Kaliayev, une femme éplorée par la perte de son époux, animée par un désir de compréhension qui n’aboutira malheureusement pas face à l’assassin de son mari. Celui-ci, loin de se montrer soucieux de mourir à la manière de l’homme du Dernier jour d’un condamné de Victor Hugo, ne s’en tient qu’à ses idées révolutionnaires et se prépare à accueillir la mort sans plus faiblir.

Cette pièce, malgré sa soixantaine d’années, est donc bien apte à nous toucher car elle traite de thèmes universels : l’amour, la justice mais aussi le pouvoir. S’inscrivant dans une série d’œuvres d’un homme qui s’est battu toute sa vie pour la liberté, elle est selon nous la plus aboutie, parce qu’elle délivre toutes ces nuances de sentiments de celui qui, face à l’injustice, n’a pas l’impression d’avoir d’autre choix que d’imposer sa propre vision d’une gouvernance équitable et qui, paradoxalement, n’assujettit pas le peuple.

Il est de ces événements dont on ne comprend pas tout de suite l’importance, mais qui marquent la charnière entre ce qui deviendra notre passé, et notre avenir. Entre notre vie d’avant et celle d’après. Alexie, elle n’avait pas plus compris que les autres. Que cet événement allait la bouleverser à jamais et la rendre différente. De toute façon, qui aurait pu deviner à cet instant ? Personne. Oh non, personne, car on soupçonne rarement que ce qui fait partie du quotidien puisse un jour, paradoxalement, casser la routine. Alors on ne peut la blâmer, ce n’était pas de l’inconscience ou de la naïveté, juste un jour comme les autres.

Il déambulait dans la rue, tenant son sac en toile sur une seule épaule, comme c’était la tendance. C’était la seule chose que sa mère avait accepté qu’il conserve. Son bon vieux sac en toile, un peu rapiécé après les années bagarreuses du collège et celles plus bohèmes du lycée, son sac en toile qu’il portait sous les fesses en recevant son premier baiser tant il en avait desserré les bretelles, qu’il tenait par son anse en fumant son premier joint, qu’il jetait par terre en rejoignant ses amis ; son sac à lui. Le reste, il avait dû le jeter. Ses jeans troués, ses tee-shirts à messages politiquement incorrects. Tout à la benne. Quand le camion-poubelle s’était éloigné, il aurait voulu lui courir après, comme un remake de série américaine, mais il s’était contenté de rester mollement debout dans le jardin, à observer les reliques de son adolescence le quitter. Tout ce qui ne correspondait pas à sa « vie d’adulte », comme aimait l’appeler sa mère, devait disparaître. Trouver du travail dans un tel état ? Impossible ! « A vingt ans tu n’as toujours pas pris les choses en mains, je dois t’y forcer maintenant », lui répétait-elle inlassablement à longueur de journée.
Le bruit de ses mocassins sur le trottoir le dérangeait, le frottement de sa chemise blanche contre sa peau l’irritait. Ce n’était pas lui. Il n’avait aucune envie de se déguiser mais il ne voulait pas empirer les relations chaotiques qu’il entretenait déjà avec la femme qui l’avait élevé. Alors il subissait en silence. Encore un entretien raté, rire lorsque le recruteur lui avait demandé s’il était prêt à rester plus longtemps au bureau en cas d’urgence n’était sûrement pas la réponse attendue. Avait-il franchement l’air de quelqu’un prêt à passer les quarante prochaines années de sa vie devant un ordinateur, éclairé par une ampoule miteuse ? Non, assurément pas. Il ne voulait pas qu’on l’appelle M. Allard. Il voulait juste rester Guillaume. Juste Guillaume. Malheureusement, le gong annonçant la fin de son insouciance lui avait vrillé les tympans et il n’avait guère le choix que d’essayer de l’obtenir et de façon durable, son Monsieur. C’était sur ces réflexions-ci qu’il se hâtait de rentrer pour arriver avant sa génitrice et faire mine de trier des documents, tout pour avoir l’air d’être occupé afin d’éviter d’énièmes remontrances.
Cependant parfois le destin est cruel. Guillaume n’ira pas ranger de piles de papiers aujourd’hui. Guillaume n’ira pas fumer un sixième pétard en cachette, affalé sur son canapé-lit. Non, parce que Guillaume marche toujours trop vite, et Guillaume perd toujours son attention lorsqu’il est pressé. Sauf qu’aujourd’hui, ce satané jour, aujourd’hui il y avait cette voiture qui roulait beaucoup trop vite. Ce satané jour, il y avait ce feu pour piétons qui restait rouge beaucoup trop longtemps au goût de Guillaume. En fait, ce jour-là, il y avait deux personnes sûrement trop pressées par ce train-train infernal de la vie. Et pourtant. Et pourtant ce jour-là, lors de ce choc-ci, le bruit des os qui craquent et le conducteur qui hurle. Et pourtant ce jour-là, c’est bel et bien de l’inscription PAUSE que va se parer le livre de leurs vies.